Willvs

William Audureau · @Willvs

21st Feb 2020 from TwitLonger

Aujourd’hui est un jour un peu spécial pour moi : je quitte la rubrique Pixels du Monde, après cinq années de critiques, portraits, enquêtes en tous genres. Je rejoins l’excellente équipe des Décodeurs, chez qui j’avais déjà fait quelques passages. Par la même occasion, je mets un terme à ma carrière de journaliste jeu vidéo, débutée il y a près de 20 ans (oui, j’ai commencé très jeune). Aux éditeurs et attachés presse qui me lisent : sabrez le champagne, vous pouvez définitivement rayer mon nom de vos listes !

Certains se demandent peut-être pourquoi. La réponse est simple : l’usure. Usure personnelle, d’abord : même si le jeu vidéo est un secteur d’une richesse incroyable et d’une capacité de renouvellement quasi permanent, j’ai l’impression d’en avoir peu à peu fait le tour. La sortie de la PlayStation 5 et de la Xbox Series X me laissent indifférent, signe qu’il est temps de passer le relais.

L’usure est aussi professionnelle. J’ai la chance incroyable, pour moi qui vient de la presse spécialisée, où les pressions des éditeurs sont permanentes et m’ont valu il y a bien longtemps un licenciement, de travailler dans un journal comme Le Monde, sur lequel les annonceurs n’ont aucune prise. Cela signifie que j’ai pu écrire sur de très nombreux sujets innocents, comme la pelle dans les jeux vidéo, l’art du level design, ou l’amour de la chanteuse Juliette pour ce média. Mais aussi sur des sujets qui fâchent, comme la communication trompeuse d’Activision, les chiffres de fréquentation mensongers de la Paris Games Week, le Ping Award du meilleur jeu français attribué à Dishonored 2 en violation du règlement, ou encore les problèmes de management et d’ambiance toxique au sein de Quantic Dream. Des articles (parfois combinés à des tweets) qui m’ont valu d’être blacklistés par Activision France, le SELL, Bethesda France ou encore Sony France. Compliquant, au quotidien, l’exercice de mon métier, en m’empêchant paradoxalement de faire les articles qui ne fâchent pas. Me pesant, aussi, humainement.

A cette usure liée à des relations de plus en plus tendues avec l’industrie s’est ajoutée celle des réseaux sociaux. Au début, les cyberharcèlements par le GamerGate glissaient sur moi. Puis j’ai également été attaqué par des anciens confrères. C’était à l’époque de la sortie de Red Dead Redemption 2. Une vague de harcèlement par la communauté d’un youtubeur ; une vidéo “humoristique” par un autre, mettant en scène mon assassinat et celui de mon collègue Corentin, depuis retirée, mais dont je peux dire que ce jour-là, j’ai su que j’avais atteint les limites de ce que je pouvais encaisser. Fin 2018, j’ai demandé à changer de poste et de service ; ce qui est désormais fait.

Quoique éprouvantes, ces cinq années ont été de très loin les plus belles et les plus passionnantes de ma petite carrière. Cinq années qui ont vu le jeu vidéo être traversé par des questions d’actualité inédites : la remise en question de sa culture élitiste ; la récupération politique des communautaristes du jeu vidéo par l’extrême-droite ; les surcharges de travail éprouvantes dans les studios ; la place faite aux femmes et aux minorités de couleur et LGBT+ dans ses productions. La réalisation en 2017 d’une enquête sur le sexisme dans l’industrie a d’ailleurs été une révélation pour moi, et sur cette violence sourde et permanente qu’il est si facile de ne pas voir ou entendre en tant qu’homme. Si j’ai un regret, c’est de ne pas l’avoir entendue plus tôt, alors que la voix de militantes féministes était déjà là, présente dans le débat autour du jeu vidéo, dès le début des années 2010.

Ce fut aussi cinq années de sorties d’une formidable créativité. Return of the Obra Dinn, The Witness, Breath of the Wild, Baba is You, Heaven’s Vault, Outer Wilds… Quel âge d’or incroyable ! Et puis, j’ai eu l’occasion de faire un portrait-partie d’échecs avec le boss de Wargaming, un test de permis de conduire spécial Mario Kart, un reportage plein de gadoue sur les traces des premiers jeux vidéo français, un top 100 des meilleurs jeux sous forme de battle royale, un vidéo-texto-live de Red Dead Redemption 2 ou encore d’aller en Biélorussie pour écrire sur une obscure et fascinante console communiste de 1991. Ah, c’était bien !

J’ai eu la chance d’être entouré d’une équipe d’un professionnalisme, d’une rigueur et d’une bienveillance indescriptibles (sauf la fois où l’un d’eux, et je tairai ton nom Martin, m’a achevé avec une carapace rouge à trois centimètres de la ligne d’arrivée).

Désormais, pour le jeu vidéo à la rubrique Pixels du Monde, il faudra voir avec Corentin Lamy, qui est, pour rappel, objectivement la plus belle plume de ce milieu. Quant à moi, et à l’exception d’un dossier terminé mais pas encore publié, je n’écrirai plus sur le sujet que dans quelques tweets en tant qu’observateur retraité, ou quelques livres d’histoire de l’industrie en projet depuis de longues années, et ce sera très bien.

Ce message était comme mes articles : beaucoup trop long.

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