Gamekult quitte Gamekult. Mon pavé trop long de mec qui fait l'ancien 👇


Cette fois, c'est pour de vrai. Rangez les fanions et les mains en mousse géantes : après vingt-deux ans de Passion™ du Jeu VidéoⓇ, plusieurs changements de propriétaires rocambolesques, des passages de témoins acrobatiques, une dalle infinie et un talent inné pour déjouer les pronostics, la rédaction de Gamekult claque la porte. D'un coup, comme ça, un jeudi soir de novembre. Et si les mots sont encore vagues dans l’annonce faite par Nicolas et Florian, cette décision est évidemment la conséquence directe de la revente du site par TF1 à Reworld Media, groupe aux méthodes de sagouin très largement documentées.

D'accord. Très bien. Non je pleure pas, c’est vous qui pleurez. Ok c’est carrément moi qui pleure, et c’est bien normal quand on regarde brûler son ancienne maison. Mais admettez que cette lourde page de l’histoire de la presse jeux vidéo francophone qui se tourne au ralenti, avec derrière le grand vide tant redouté qui se dessine… ça fiche un coup assez immense.

Alors évidemment on aura tout le temps, dans les mois qui viennent, de mesurer la magnitude de l’onde de choc et de déclarer officiellement 2022 année noire pour la presse jeu vidéo. On n’oubliera pas de se souvenir de GK aussi bien à son pire que dans les efforts acharnés des ses membres pour toujours amener le site vers le meilleur.

En attendant, quelques observations d’ex-GK, à compléter/corriger auprès des grâce aux intéressés quand ils pourront s’exprimer un peu plus librement. Tout ce qui va suivre n’engage donc que ma pomme.

1️ Tout un live de démission sans fustiger "Reworld", comment c'est possible ?

Si j’avais reçu 10 balles à chaque fois qu’on nous a enjoint, Puyo rédac’ chef et moi son adjoint, à passer sous silence la réalité économique et humaine du site dans nos communications avec l’audience, j’aurais aujourd’hui de quoi racheter la boutique et mettre tous mes copains à l’aise. C’est un classique : les nouveaux tauliers n’ont rien contre une équipe qui annonce qu’elle se barre comme un seul homme, mais, “Coco, tu restes pro, d’accord ?”. Rester pro revenant ici à ne pas établir le lien de causalité le plus évident devant son lectorat et le laisser seul tirer ses conclusions. Qui sait ? Est-ce vraiment à cause de la machine à casser le journalisme qui vient de racheter le site ? C’est peut-être juste une gastro hyper contagieuse ? A moins qu’ils aient tous changé de passion en même temps ? Tout le monde apprécie un bon mystère.

Mais alors pourquoi jouer le jeu ? Partir sur un doigt d’honneur assorti d’une rondade, ce n’est pas aussi ça, l’esprit GK ? Si inconfortable que soit l’exercice, ce n’est pas le gentil Reworld que protègent de leur fleuret moucheté mes camarades - en réprimant une nausée, je les connais. C’est en fait toute l’équipe rédactionnelle derrière eux. Tant que tout ce petit monde n’est pas dehors avec son solde de tout compte à la main, partir du principe que les nouveaux patrons chercheront la faute (et donc l’économie) à tous les coins de site… ça reste un réflexe de survie plutôt sensé. On fait le dos bien rond, on boit cette pinte de bile tiède et les vérités seront dites plus tard. Valar morghulis.

2️ N’est-ce pas un peu précipité ?

C’est vrai ça, ils apprennent encore à se connaître. Derrière le coup d’éclat, l’équipe de GK est-elle certaine qu’il n’y a pas de place pour le Gamekult d’hier dans le Reworld d’aujourd’hui ?

Pour ce que ça vaut, mes années passées au contact du gars Puyo m’avaient convaincu qu’il n’abandonnerait JAMAIS le navire de son plein gré. Donc soit les plans de Reworld pour GK sont puent déjà bien fort, soit rien n’est encore décidé mais l’équipe n’a pas obtenu de garanties suffisantes. On s’attendrait pourtant à ce que soit la priorité de tout honnête racheteur.

Ajoutez à cela l’épuisement accumulé depuis 2020, les nombreux mouvements d’équipe, la revente sauvage par TF1 aux lendemains du déménagement, et un dernier truc qu’on n’a pas assez dit : quel que soit son possesseur, Gamekult est plus ou moins condamné à finir entre l’enclume de ses convictions et le marteau des attentes de n’importe quel groupe média.

Le GK qu’on connaît, celui qui ne transige ni sur l’éditorial ni sur les méthodes de financement, n’offrira jamais satisfaction (= rentabilité) dans un écosystème de groupe où d’immenses coûts fixes (locaux, infrastructures, services) lui sont imposés pour la seule raison qu’il fait partie de la “famille”. Un Premium se suffisant à lui-même c’était possible, oui, mais dans un petit appartement avec un webmaster, un frigo rikiki et une SCOP derrière. Pas dans la tour TF1 ou d’autres locaux imposés à la rédaction avant ça. Pas sans changer l’éditorial. Pas sans continuer à aimer l'écrit. Fichu panier de la mariée dans lequel voyage le site depuis quinze ans.

3️⃣ D’autres surprises à redouter côté contenu ?

D’instinct, je m’inquièterais du sort fait à des rendez-vous centraux comme Gaijin Dash ou Rétro Dash. En tout cas tant que de nouvelles ressources, notamment vidéo, ne seront pas dénichées (pour ça comme pour le reste, Les Numériques vont certainement devoir partager). Au doigt mouillé, j’aurais tendance à penser que’une majorité vos rubriques préférées finira dans le grenier de Reworld tel F-Zero chez Nintendo.

Idem pour l’offre d’articles de fond capables de valoriser le Premium. Je ne serais d’ailleurs pas étonné de voir bientôt fleurir une autre stratégie avec des avantages beaucoup moins journalistiques à l’offre payante du site (Xbox Game Pass ou Playstation Plus ? qui sera le plus rapide ?)

On peut également s’inquiéter pour un gros bout de la couverture indé et ce temps alloué à cet “autre JV” qui ne rapporte pas. Ne serait-ce que d’un point de vue des ressoruces. Comprenez que sur la vingtaine de pigistes en activité, seuls deux ou trois continueront à collaborer avec Gamekult d’ici début 2023. Nul doute que Reworld reconstruira une escouade de plumes, mais ces choses-là prennent du temps. Et rien ne dit que la fameuse “envie de bien faire” caractéristique des nouveaux acquéreurs soit encore de mise dans deux, trois, six mois.

4️⃣ Et mon abonnement ?

La grande question. Comme vous vous en doutez, aucun grand groupe media ne laissera traîner dans ses CGU que l’abonnement est remboursable en cas de changement éditorial majeur. C’est malheureux, mais c’est comme ça. Et je sais, je le sens d’où je suis, que c’est ce qui rend malade mes ex-collègues depuis des semaines et ce soir plus encore.

Lors d’un rachat, un système d’abonnement fort comme celui de Gamekult est un outil à double tranchant. Avant la prise de contrôle, la rédaction voudra vous encourager à soutenir le site à travers la tempête. Maintenir la courbe d’abonnés au plus haut, c’est son meilleur levier dans les discussions à venir. Voire carrément un bouclier brandi par son lectorat.

Quand les choses avancent et que l’horizon s’assombrit, ce même abonnement devient alors le fardeau moral de la rédaction. Que dire maintenant qu’on s’en va à celles et ceux qui ont rempilé pour un mois, six mois, deux ans, souvent par pure sympathie ? Sinon “merci d’y avoir cru avec nous et désolé de ne pas apporter de meilleures nouvelles” ?

A la place de GK, j’aurais agi de la même manière. Sauver les meubles un maximum en communiquant le plus tôt possible une fois la décision prise et les papiers signés. D’expérience, je dirais que cette communication officielle plusieurs semaines avant leur départ est même peut-être le fruit d’un forcing en interne. D’ordinaire, ce genre de groupe préconise le silence jusqu’à assez tard dans le processus.

(voire le silence tout court - ça va Clubic ?)

5️⃣ Quel avenir pour Gamekult ?

Si vous lisez le site, vous savez que son Essence était humaine. Une colonne vertébrale salement poilue (Puyo) qui traverse vingt ans d’histoire du média, une famille composée, décomposée, recomposée, re-recomposée encore, et bien entendu le Saint-Esprit : Hubert.

Dans quelques semaines, l’Essence s’en va. La Marque™ elle, reste. Tous les efforts de Reworld iront ensuite à vous convaincre qu’il s’agit simplement d’une énième mue du site. Ils chercheront à remplacer le RC par une tête connue du milieu, pourquoi pas aux valeurs fortes et impossibles à prendre en défaut. De ce que je sais, tout le JV français propre sur lui a déjà reçu son coup de fil, et Ô surprise, il semblerait que les contactés ne se bousculent pas pour grimper dans le manège.

Quand Gamekult aura trouvé une nouvelle capitainerie en revanche, veillons à ne pas tomber dans le piège des traîtres ou des vendus : ce sera vraisemblablement des personnes qu’on aura juste convaincues qu’elle peuvent “défendre GK de l’intérieur” et “continuer un combat que la rédac’ actuelle n’a plus la force de mener”. Classique, certes, mais ça a marché sur moi il y a douze ans et le Net regorge de jeunes gens talentueux et chauds pour passer quelques années à combattre des moulins. Romantisme, quand tu nous tiens.

6️⃣ Et maintenant… dormir

Vous l’aurez compris, je crois assez peu à un miracle. Je ne pense pas que Reworld ait racheté GK pour se chicaner avec une rédaction de casse-bonbons, ni pour valoriser l’abonnement avec des articles de fond et cette immonde chose que l’on nomme journalisme. Cependant, je me souviens bel et bien de ce fameux combat que laissent aujourd’hui derrière eux mes potes, et ce soir je suis soulagé pour eux.

Lutter contre un milieu en perpétuel enfumage des lignes de déontologie et de décence. Lutter contre une industrie qui n’a fait que diluer les valeurs du métier dans des hectolitres d’infotainment mielleux jusqu’à te faire passer toi pour le clown triste et ringard. Lutter contre un management qui veut faire entrer un site rond dans des solutions de financement carrée jusqu’à t’épuiser. Lutter enfin contre les coûts délirants du seul fait d’appartenir à un grand groupe, tout ça sur fond de rémunérations épouvantables. Lutter, lutter, lutter.

Je souhaite à mes ex-collègues un repos à la mesure de cette lutte qui s’achève enfin. Merci d’avoir continué à défendre cet idéal d’une presse spécialisée aux mains propres. Merci d’avoir offert une part de ce fameux romantisme à l’un des derniers grands sites malades d’une industrie toute aussi malade. Sans vous GK serait mort dix fois. Grâce à vous GK s’en va dans une déflagration qu’on n’oubliera pas.

Je vous souhaite de très grands verres et de bien meilleurs salaires.
Toute ma gratitude aux personnes qui soutiennent et ont soutenu Gamekult.
Je retourne chialer un bon coup.

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Gautoz

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