Esport et Écoles : Réflexions à propos des formations aux métiers de l’esport


La récente création à la rentrée universitaire 2017 de plusieurs cursus de formations aux métiers de l’esport suscite de nombreuses interrogations au sein de la communauté esportive (la semaine dernière certains membres de l’association France Esports s’exprimaient ainsi à ce sujet à la fin d’une conférence du Satis) et des médias spécialisés (@arghentho s'exprimait sur le sujet sur Millenium dès décembre 2016), et dans une moindre mesure auprès des médias traditionnels (comme le court reportage de 2 minutes de France Inter à l’occasion de la PGW que j'ai posté il y a quelques jours ou la série d’articles de @Paul_Dejala pour L’Equipe).

Le scepticisme est particulièrement légitime en raison de l’épisode « malheureux » de The Esport Academy (TEA) dont @DelTogi et @Zidwait de aAa ont fait état dans un excellent article d’investigation à la suite des déclarations de certains étudiants de la première promotion. Les inquiétudes sont donc fondées sur un premier retour d’expériences négatif, susceptible de causer beaucoup de torts à l’ensemble de l’écosystème esportif qui n’a pas nécessairement besoin d’une épine supplémentaire dans le pied dans son processus de déstigmatisation et démocratisation auprès du grand public qui semble s’opérer peu à peu depuis le début des années 2010.

Dans un premier temps, revenons sur les différentes offres proposées dans le cadre de ces nouveaux « cursus esportifs ». Deux cas semblent schématiquement cohabiter :

1. Des formations courtes de 10 mois, dispensées par des structures privées, formant à différents métiers en lien avec l’esport (comme Manager, Caster/Commentateur, Analyste, Streamer, Régisseur/Monteur, Community manager, Chef de projet événementiel… et parfois, de manière minoritaire, cyberathlète), non-reconnues par l’Enseignement Supérieur (car trop récentes) et non-diplômantes. Si certaines formations voient le jour dans un relatif anonymat comme le Metz Esport Center (@MESC_gaming) ou la Montpellier Gaming Academy (@MontpellierGA), les quatre exemples les plus connus sont aujourd’hui :

• La Helios Gaming School (@HGS_Freyming) à Freyming-Merlebach dans la région de Metz, supporté par le promoteur Aux Frontières Du Pixel et l’école BPC-ESC et dont le reportage sur France 3 Lorraine ont donné un premier aperçu ;
• La Power House Gaming (@PHGesport) à Mulhouse, appuyé par la Ville de Mulhouse et e-nov Campus regroupant des programmes en lien avec l’économie numérique ;
• La Paris Gaming School (@PGSchool75) à Montreuil en région parisienne, dont c’est certainement l’un des plus gros atouts lorsque l’on sait qu’une grande partie de l’activité/industrie esportive française se situe dans la région de la capitale ;
• The Esport Academy (@eSportAcademy_) à Bouguenais dans la région nantaise, pionnière dans le secteur en France, qui suite à la médiatisation de l’échec de sa première année d’existence, se veut certainement plus discrète sur les conseils de sa nouvelle équipe de direction.

2. Des formations longues (Bachelor en trois ans ou MSc1 en 1 an), dispensées par des écoles supérieures privées, proposant des spécialités « Esport » ou « Gaming » à des cursus formant aux métiers de Responsable évènementiel, Chef de publicité, Chargé(e) de communication externe/interne, Manager en relations publiques, ou Chef de projet par exemple. Ces formations offrent quant à elles un diplôme reconnu par l’État de Niveau I (Bac + 4) ou II (Bac + 3). Les deux exemples les plus connus sont à ce jour :

• Le MSc1 de l’INSEEC, à ma connaissance seulement sur le campus de Paris pour le moment, qui a reçu un accueil plutôt bienveillant de la part de certains médias spécialisés ;
• Le Bachelor ISEFAC, dispensé sur au moins deux campus, celui de Paris et celui de Lille, et qui ne devrait très certainement pas s’en contenter à la rentrée prochaine.

Avant toute chose, je me dois de préciser que j’interviens moi-même dans deux de ces formations (une courte et une longue) en qualité d’enseignant en « Culture e-sportive », dont le contenu consiste en une approche sociologique des enjeux sociétaux, culturels, politiques et économiques de l’esport. Je ne prétends pas ainsi avoir un regard omniscient sur l’ensemble des cursus, mais mon expérience peut déjà offrir à tout un chacun un premier panorama de ces deux types d’offres.

Premier constat : Si ce n’est The Esport Academy qui a ouvert ses portes en 2016, les autres formations sont apparues à la rentrée 2017, et il semble que toutes connaissent un réel succès en termes d’affluence. Je ne possède pas les effectifs réels de tous les cursus, mais il semblerait que certaines d’entre elles, faute de places, n’aient pu répondre favorablement aux très nombreuses demandes d’inscriptions, tandis que d’autres entament pour la rentrée prochaine une campagne de recrutement sur d’autres campus en France.

Deuxième constat : En raison de la nouveauté du phénomène, nous ne disposons d’aucunes données à ma connaissance sur le taux d’employabilité des étudiants. Il est donc impossible pour le moment de juger de l’efficacité de ces formations sur ce critère. Il faudra attendre la sortie des premières promotions pour pouvoir se faire une idée des besoins du secteur d’activité, et de sa frilosité/engouement à employer ces primants formés (donc à partir de septembre 2018). Et il sera encore un peu plus long d’être en capacité de juger de la qualité des contenus pédagogiques de ces formations et des compétences développées par les étudiants, car il faudra attendre d’avoir des retours de leurs premiers employeurs (donc au moins janvier 2019).

Troisième constat : La crainte concernant le fait que ces écoles puissent prétendre former de potentiels « joueurs professionnels » paraît exagérée lorsque l’on regarde les contenus pédagogiques et la proportion d’étudiants concernés par cette voie dans chacune des formations. En effet, seules les formations courtes proposent potentiellement ce cursus, et les effectifs d’étudiants se destinant à ce parcours semblent minoritaires. Cependant, les étudiants sont encouragés à la pratique de disciplines esportives que ce soit lors de cours, ou sur leurs temps libres. Selon moi, rien d’étonnant à cela, puisqu’ils se destinent à travailler dans ce secteur et qu’ils en sont passionnés. Il est donc pertinent de leur offrir des temps de pratique encadrés afin qu’ils se perfectionnent dans le jeu, notamment s’ils s’orientent vers les métiers de casters/commentateurs, analystes, managers ou streamers. L’important est bien entendu que le contenu de la séance soit composé de situations d’apprentissages et de perfectionnement rationnalisés. C’est là, entre autres, où ces formations doivent apporter une réelle plus-value. Petite remarque cependant : de ce que je peux observer, les étudiants ont tendance à ne pratiquer que très peu de jeux de leur propre initiative (principalement les jeux Tier 1 de l’esport : LoL, CS, PUBG, HS, SC2, DotA…). Il y a une relative méconnaissance de leur part de la pratique des autres nombreux genres de disciplines esportives (Versus Fighting, Rythm Games, Simulations sportives et arcade, puzzle games, MMORPG…). À la manière des cursus STAPS qui « obligent » les étudiants à pratiquer de très nombreux sports (dont certains qu’ils n’apprécient pas forcément) afin de les initier au plus large choix possible d’activités, il pourrait être pertinent de planifier dans les contenus pédagogiques des formations esportives, des heures d’initiation et de pratique sur le plus grand nombre de disciplines esportives. L’idée ne serait pas tant qu’ils pratiquent de nombreuses heures, que de découvrir les spécificités de chacune de ces catégories. L’intérêt ? Chaque genre à ses propres singularités, et pour quiconque désire s’investir professionnellement dans le secteur, il se doit de saisir qu’il est impossible de communiquer, organiser un événement ou commenter une compétition de la même manière pour chacun des genres.

Quatrième constat : La relative bienveillance dont semblent bénéficier les formations longues auprès de la communauté paraît provenir du fait d’une part qu’elles proposent des cursus formant à des métiers déjà établis dans différents secteurs d’activité auxquels on apporte une spécialisation « gaming » et « esport », et d’autre part qu’elles conduisent à l’obtention d’un diplôme d’État. Petite précision, elles ne dispensent pas encore de Titres reconnus par l’État. Là encore, j’établirais un parallèle avec les formations sportives. Pour de nombreux corps de métiers du monde sportif (événementiel sportif ou marketing du sport par exemple), il existe à la fois des cursus universitaires STAPS, spécialisés sur le sport, et des cursus en écoles privées, spécialisés dans ces corps de métiers. Personne ne remet aujourd’hui en question le fait que les STAPS ne soient pas légitimes pour enseigner ces compétences au motif que ces corps de métiers ne sont pas spécifiques au sport. Bien au contraire, les formations en STAPS connaissent une forte affluence dans ces cursus et l’expertise sportive des étudiants STAPSIENS (en tant que pratiquants, animateurs sportif, éducateurs sportif ou enseignants d’EPS) est une valeur ajoutée non-négligeable pour leurs futurs employeurs. Mon point est donc le suivant : Pourquoi en serait-il forcément autrement pour l’esport ? Pourquoi les formations spécifiques aux métiers de l’esport seraient-elles moins légitimes ? Certes, les futurs employeurs semblent pour l’instant plus enclins à privilégier un diplômé ayant une appétence pour l’esport, qu’un passionné d’esport qui aurait développé des compétences moins spécifiques. Mais cela ne pourrait-il pas changer ? Rien ne me semble immuable. De plus, pour intervenir dans les deux types de cursus, il apparaît que les formations courtes ne sont pas en reste en termes de professionnalisation. À titre d’exemples, après deux mois de formation, les étudiants de cursus court que je fréquente ont eu l’occasion de rencontrer la plupart des acteurs majeurs de l’écosystème (médias, structures, managers…), ont déjà eu l’occasion de travailler ou d’être en stage lors de la PGW, et sont en pleine préparation de projets événementiels qui englobent les différents métiers auxquels ils sont formés. En comparaison, les étudiants du cursus long sont peut-être moins urgemment stimulés par l’équipe pédagogique, et les projets et stages n’en sont encore qu’à l’état de réflexions. Loin de moi l’idée de dénigrer l’une ou l’autre, mais seulement de déconstruire cette idée reçue selon laquelle les formations longues des écoles supérieures privées seraient forcément meilleures. C’est à nuancer !

Cinquième constat : Il semblerait pour certains que la qualité des contenus pédagogiques soit liée à la renommée des intervenants qui les dispensent. Bien que je ne remette aucunement en question la qualité des enseignements de tous mes collègues qui interviennent dans ces différentes formations, je me dois de souligner qu’il est important de dissocier « légitimité », « compétences professionnelles » et « compétences pédagogiques ». Ainsi, il est tout à fait possible d’être un acteur légitime de l’esport, souvent en raison des compétences professionnelles acquises et développées au cours de son expérience (du moins je l’espère), mais de n’avoir que très peu de compétences pédagogiques ou de connaissance des sciences de l’éducation (et à juste titre). Nous avons ainsi tous en mémoire de bons et de mauvais enseignants, et cela indépendamment de leurs compétences dans leur domaine d’expertise. Si je prends mon cas personnel, ma légitimité dans l’esport est proche du néant (au gimmick « t’es qui dans l’esport ? », difficile pour moi de répondre autre chose que « pas grand monde »), pourtant ma formation universitaire, ma sensibilité aux sciences de l’éducation et mes années d’expériences en tant qu’enseignant, entraîneur, éducateur ou directeur de centre de vacances, font de moi, je l’espère, un intervenant relativement compétent dans mon domaine. Il me semble donc inapproprié de juger de la qualité de ces formations au seul critère de la réputation de leurs intervenants, sans compter que cela démontre bien plus une forme d’élitisme de la part de l’écosystème esportif, qu’une quelconque objectivité.

En guise de conclusion, il semble donc très difficile pour le moment de juger objectivement du meilleur modèle de formation adapté aux métiers de l’esport, d’autant plus qu’un acteur majeur de l’enseignement supérieur ne s’est toujours manifesté : l’Université. L’enseignement public aura certainement son mot à dire à un moment donné et sera certainement force de proposition. Peut-être verra-t-on ainsi apparaître des cursus « esport » en STAPS, ou en sciences de l’Information et de la Communication, ou en Sciences de l’éducation et Sciences du jeu… Voilà des possibilités qui n’ont pas encore été abordées et qui seraient susceptibles de changer le paysage des formations aux métiers de l’esport.

J’encourage donc chaque acteur de l’esport à garder un regard critique envers l’éducation et les formations autour de l’activité qui le passionne, car c’est cette exigence qui permettra d’offrir dans un premier temps un contrôle social tacite afin d’éviter les erreurs passées. Bien évidemment, j’encourage également tous les fondateurs, dirigeants, responsables pédagogiques, enseignants réguliers, intervenants épisodiques, à faire preuve d’une extrême rigueur dans la forme, le fond et les intentions des formations qu’ils ont créées, qu’ils dirigent ou dans lesquelles ils interviennent, car les enjeux sont colossaux pour l’écosystème esportif, en termes d’éducation, de professionnalisation, d’employabilité, de démocratisation, et bien évidemment de légitimation.

Je serai enfin très heureux de voir émerger un réseau de professionnels entre ces différentes formations afin que chacune puisse diffuser son expérience, apprendre des autres et ainsi mettre en commun les aspects positifs et négatifs vécus afin de multiplier les premiers et faire disparaître les seconds. En attendant cette opportunité, je serai ravi d’échanger avec quiconque sur le sujet ! ;)

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