KinoaEdelyon

Kinoa · @KinoaEdelyon

9th Oct 2016 from TwitLonger

Témoignage d'un Demi-sexuel


J'envoie ce DM parce que @DemiSexualite souhaitait obtenir des témoignages sur le sujet de la demi-sexualité, alors voilà le mien. Si certains ou certaines s'y reconnaissent, tant mieux. Si cela permet à d'autres de mieux comprendre, c'est bien aussi.

La question de la sexualité ne s'est réellement posée pour moi qu'à partir du collège. Avant, multipassionné comme je l'étais, je n'en avais tout simplement rien à faire.
En 6e, j'ai découvert en classe verte que certains de mes camarades se masturbaient. Quoi qu'ils m'en aient dit ce soir là, ça ne m'a pas marqué. Ils auraient pu me dire que c'était aussi cool que de manger des glaces à la rutabaga, ça m'aurait fait le même effet.
En 5e, je suis tombé amoureux (d'une fille que, faute de pouvoir définir, je déclarerai cis-genre). J'étais un véritable tsundere à l'époque , puisque je refusais de reconnaître ces sentiments nouveaux en moi. J'ai alors regardé autour de moi pour essayer de comprendre comment les autres vivaient le fait d'être amoureux, et si certains vivaient les choses comme moi. J'ai vu des couples qui se cherchaient, se bécotaient... Cela paraissait si... horrible. On aurait cru qu'ils se dévoraient. Je ne voyais pas de tendresse (il y en avait sans doute, mais je ne la percevais pas), j'avais l'impression qu'ils flirtaient juste. Et encore.
Je me suis senti très seul, et ai enterré mes sentiments. Si l'amour c'était ce que je voyais (et pas du tout ce que je ressentais), alors je n'en voulais pas. Je n'avais pas l'envie de bécotter l'être aimée, pas de la monopoliser. Juste de la rendre heureuse par tous les moyens possibles.
Mon amour pour elle était juste "romantique".

Mon éducation, pour ceux qui se demanderaient d'où cela pouvait venir, a été dans un cadre chrétien pratiquant. Pour autant, ma famille n'avait jamais ni prôné ni interdit (et encore moins rendu tabou) les interactions charnelles. Ils nous ont d'ailleurs rapidement expliqué comment une part de tout cela pouvait bien fonctionner.

En 5e, j'ai décliné toutes les avances de mes prétendant(e)s avec une gêne immense. Je ne souhaitais froisser personne, mais j'étais clairement ancré dans l'idée que je ne pouvais pas vivre les relations que les "autres couples" vivaient. Je n'aurais pas pu le supporter.

En 3e, mes camarades de classe ne comprenaient pas que je n'aie aucune intention de sortir avec qui que ce soit, et encore moins de développer une libido "normale". Ils pensaient que je refusais la libido, volontairement. Sauf que non, je n'en avais pas. Alors, une partie d'entre eux a monté un coup lors d'un voyage en Allemagne. Nous devions aller par paire en familles d'accueil. Ils se sont débrouillés pour que je me retrouve avec l'un d'entre eux. Un sympathique gaillard, mais en réalité le plus "sexualisé" du groupe. Évidemment, à ce moment, je l'ignorais.
Ils avaient convenu avec lui d'un objectif : me "montrer" en quoi c'était cool de se masturber, comment faire, bref... une vraie "cure" de conversion.
La famille d'accueil, comble de malchance, n'avait pour seul lit à nous proposer qu'un double lit. Ça ne me dérangeait fondamentalement pas. Je n'avais aucune vision sexuelle du monde. Cela n'existait même pas dans mon esprit, je ne pouvais rien voir à travers ce prisme. Ce garçon a perdu trois heures, durant la première nuit, à tenter gentiment (mais TROIS HEURES) de comprendre pourquoi je n'avais aucun attrait sexuel. Il souhaitait me montrer. Me guider. Et peut-être même plus si affinité.
J'ai fini par inverser la question, et lui demander pourquoi il insistait à ce point.
On a fini la soirée en parlant de lui, puisque j'avais tout fait pour le détourner de moi.
Le lendemain, évidemment, ses camarades ont été très déçus de son manque de résultats.

Durant ces années, une camarade que je cotoyait aussi en club s'amusait beaucoup de mes réactions épidermiques lorsqu'elle me posait une main sur la cuisse. Moi, ça me hérissait juste le poil.
Les gens me laissaient indifférents visuellement.
Je les appréciais pour leur esprit, leur finesse, leur gentillesse.
La fille dont j'étais resté amoureux (même si je me refusais d'y penser) était ce parangon de respect, de tendresse, d'intelligence et de délicatesse qui me faisait rêver. Seul un lien aussi fort pouvait me faire cet effet là.
Je n'ai jamais pu avoir d'envie sexuelle à son égard. Ça n'aurait même pas pu me traverser l'esprit, même si je l'avais voulu.


J'ai continué au lycée : aucune envie sexuelle. Personne ne me faisait fantasmer. Je me sentais "ange" en cela que ce que j'avais entre les jambes me servait juste à uriner.

Dans le supérieur, j'ai eu d'excellents amis. Des amitiés si belles et si fortes que je ne leur trouvais rien de plus beau.
Une fois, une de ces personnes a souhaité jouer avec moi. Le genre de jeu qui pouvait laisser présager une envie sexuelle.
Ça ne m'a rien fait. Juste que le jeu était vaguement amusant.
Or, comme j'avais cette vision chevaleresque selon laquelle il était nécessaire que je ressente l'envie de l'autre pour pouvoir avoir une relation avec, et n'ayant pas cette envie, j'ai encore une fois décliné. J'ai tenté de décevoir cette personne. Je ne saurai certainement jamais si j'ai réussi, mais le retour que j'ai eu allait dans ce sens.

Une autre personne, un homme (cis) cette fois, ancien ami de lycée, a commencé à avoir des interactions plus profondes avec moi. Dans le même temps, une autre amie approfondissait aussi nos relations. C'était les plus beaux mois de ma vie, je le vivais ainsi ; j'avais même dit à mon ami que j'aurais eu du plaisir à l'avoir comme témoin si jamais un jour je me mariais.
Jusqu'à ce que vienne à mes yeux un constat effroyable : j'avais rêvé de romances, mais je ressentais que les amitiés que je vivais étaient si fortes, si intenses que... à côté, jamais plus je ne pourrais plus tomber amoureux.
J'ai senti le désespoir de la solitude. Mes amitiés étaient trop belles.
J'ai fini par me demander si je n'étais pas, sans même m'en rendre compte, tombé amoureux. L'amitié que j'avais envers ce garçon était devenue quasi-fusionnelle. Je me levais le matin en repensant aux sms de la veille, et en attendant ceux de la journée et les échanges du soir.
J'ai refusé de vérifier cette impression.
Je me suis complu dans cet état d'amitié parfaite.

Mais, l'idée restait en tête. Elle faisait son chemin.
J'ai alors été retord. Sur une conversation en ligne, j'ai profité d'un flou donné par mon interlocuteur pour le pousser dans ses retranchements. Il a résisté. Il a détourné la conversation.
Une part de moi s'est dit que, s'il n'était pas amoureux de moi, alors cette amitié trop belle resterait ainsi, et ça m'irait parfaitement.
Mais je ne savais vraiment pas comment je réagirais si j'apprenais qu'il m'aimait.

Il souhaitait me le révéler en face. Je lui ai involontairement coupé l'herbe sous les pieds.
Je suis tombé de haut ce soir là. Il m'a avoué ses sentiments à mon égard.
Je ne savais pas si je pouvais former un couple. Nous étions deux garçons, et ça je n'en avais rien à faire. Mais je ne savais pas QUOI faire. J'ai mis une heure à lui formuler une réponse convenable, ce qui devait forcément lui paraître atrocement long.
J'ai compris ce soir là que si je refusais ce qu'il m'offrait malgré lui, je refuserais alors toute relation amoureuse.
J'avais atteint la croisée des chemins.
Choisir entre définir ce sentiment à son égard comme une amitié plus forte encore que l'amour, ou comme un amour à part entière ...

Ma réponse a fini par ressembler à un "je ne te dis pas non, mais laisse-moi le temps de me faire à l'idée".
Il m'a fallu un temps FOU pour émerger. Je tremblais comme une feuille. Lui aussi.
Le lendemain, il m'envoyait des messages comme un petit fou. Il ne pouvait pas croire que je n'avais pas fui en courant.
Moi, je planais sur un petit nuage. Nous étions à des centaines de kilomètres de différences, et pourtant, alors que j'étais physiquement tout seul, je venais de devenir "en couple" sans même réaliser. Mais je n'avais pas dit oui. Je n'avais pas su dire oui.
Il nous a fallu des semaines pour que je puisse rentrer de Paris. C'est à notre premier rendez-vous que j'ai pleinement réalisé.
Ce serait lui ou rien.
Il n'était pas ce qui correspondait au canon de beauté que j'aurais pu croire être le mien.
Et pourtant, lorsque mon interaction avec lui m'a rendu amoureux de lui, il a cessé de paraitre "comme tous les autres". Il est devenu mon canon de beauté. Alors même que tous ceux qui lui ressemblent ne m'attirent toujours pas.
Ma sexualité s'est révélée lorsque j'ai été avec lui. Il ne m'a forcé à rien du tout. C'est presque le contraire.
Elle n'existait pas avant. Je n'avais pas eu d'attirance "physique" pour qui que ce soit. Juste une et une seule attirance romantique, qui était restée cachée et sans doute à sens unique.
Mon attirance physique s'est créée lorsque mon attirance romantique s'est trouvée comblée. Et elle s'est créée pour lui.

Mes parents sont tombés de haut. Ma mère surtout.
Elle a cherché à comprendre pourquoi j'étais attiré par un garçon. Par "les" garçons.
Elle a cru à une gynophobie (non maman, j'ai déjà été amoureux d'une fille, et je suis certain que dans les mêmes conditions j'aurais pu avoir un rapport avec elle).
Elle a cru que les garçons me faisaient fantasmer, tous ou presque tous.
Certains de mes ami(e)s l'ont cru aussi.
Mes frères, parents, ont tous pensé que j'étais homosexuel/homoromantique. J'ai du lutter contre l'idée.
Ma mère avait lu un article catholique qui résumait l'homosexualité à "drague, masturbation, pornographie" (non, je ne remercie pas Philippe Arino pour cela. Son vécu n'est pas le mien). J'ai du revendiquer, puis hurler que non, je n'avais jamais dragué personne. Qu'il n'y avait aucun rapport dans ma relation à la masturbation, que ce n'avait même jamais été basé là dessus. Et que non, ma bibliothèque était libre d'accès, et qu'on n'y retrouverait jamais un seul porno puisque cela me laissait indifférent, voire me dégoutait de la sexualité.

Alors, mes parents ont découvert le pot-aux-roses, et moi aussi.
On a eu une discussion. Mon père m'a demandé si je n'avais jamais rien ressenti de "phsyique" pour aucune fille.
J'ai déclaré que si j'avais déjà été amoureux, non, je n'avais jamais ressenti d'attirance sexuelle.
(à ce moment, le vocabulaire d'attirance sexuelle et romantique, de bissexualité, pansexualité, je ne l'avais pas)
J'ai cru que c'était aussi le vécu de presque tout le monde autour de moi. Mes parents n'avaient toujours parlé que des relations charnelles ou amoureuses, uniquement dans le cadre de leur couple.
J'ai découvert que non, je devais presque être le seul à n'avoir aucune attirance sexuelle de base, et à n'avoir que des attirances romantiques.
Que j'étais le seul à avoir besoin d'une attirance romantique pour pouvoir ensuite développer une attirance sexuelle.
J'ai dû expliquer dans tous les sens :
"Non, je ne distingue aucun genre, ce que j'aime chez la personne provient uniquement de ce qu'elle est spirituellement, pas physiquement"
"Non, je ne souhaite pas avoir des relations avec d'autres garçons, ils restent dans mon esprit toujours aussi indifféremment considérés"
"Non, je suis amoureux d'une seule personne, pas de l'ensemble dans son entier."

Ils ont eu du mal et ont encore du mal à comprendre.
Évidemment, ils n'avaient pour seule étiquette, pour seule référence que les livres sur l'homosexualité, et leur sacrosainte vision de ce qu'était l'hétérosexualité... la leur.
Ils ont tenté de m'accoler une étiquette qui était la seule à leur disposition.
Ils ont tenté de trouver la "solution" ""adaptée"" en partant de cette mauvaise étiquette.
Maman ne trouvait rien sur la pansexualité.
Quand j'ai découvert le terme, j'ai du lui expliquer.
Ensuite, quand j'ai découvert le principe de demi-sexualité, j'ai aussi du leur expliquer.
Leur expliquer que je pouvais enfin mettre des mots sur ce que je vivais.

Mais ils sont perdus. Après tout, ce que tout le monde voit, c'est que je suis en couple avec un homme.
Tout le monde pense que je suis gay. Les gays eux-même tendent à le croire.
Ce qu'il y a de bon à cela, c'est que, pour avoir vécu l'homophobie en temps que demisexuel panromantique (à relation exclusive), je me sens plus solidaire envers d'autres parties du spectre LGBTQIAAP+.

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