Mar_Lard

Mar_Lard · @Mar_Lard

26th Oct 2014 from TwitLonger

[INTERVENTION @ARRETSURIMAGES]

Je suis intervenue sur le plateau d'Arrêt sur Images à propos du mouvement GamerGate qui déchire le milieu du jeu vidéo en ce moment :
http://www.arretsurimages.net/emissions/2014-10-22/Gamergate-rebellion-populaire-ou-eruption-reac-id7154
Le tournage a eu lieu Mardi et j'aimerais clarifier quelques points quant à ma participation à ce débat dont l'organisation a été houleuse, comme vous pouvez le voir dans le making off. Je pensais publier ces éclaircissements avant diffusion de l'émission, mais je n'ai pas pu finir de les rédiger à temps ; les voici donc maintenant.

J'ai été contactée il y a peu par un journaliste d'Arrêt sur Images qui souhaitait m'inviter pour un sujet sur GamerGate, dans le cadre de leur partenariat avec Canard PC qui vient de sortir un dossier "Le jeu vidéo est-il réac ?" traitant notamment de GamerGate. Ils me voulaient sur le plateau pour évoquer l'idéologie et le harcèlement misogyne & anti-féministe du mouvement.
J'ai tout de suite répondu qu'à titre personnel, je n'avais vraiment pas envie de participer à cette émission.

D'abord parce que j'y serais la seule femme du plateau face à 4 hommes, ce qui est encore et toujours une aberration surtout pour parler de misogynie. L'idée d'être la "caution féminine" d'un plateau de mecs débattant sexisme entre eux m'insupportait.

Ensuite parce que l'émission était donc basée sur un dossier de Canard PC, un journal dont certaines méthodes me répugnent; nous avons eu à plusieurs reprises des accrochages virulents au sujet de relents sexistes, racistes etc dans leurs pages sous couvert d'humour, alors même qu'ils se revendiquent progressistes. Et en effet, leur dossier "Le jeu vidéo est-il réac" me posait plusieurs problèmes - que j'ai pour certains pu aborder brièvement au cours de l'émission :

- Une certaine tendance à minimiser la misogynie & le harcèlement comme une simple facette du mouvement GamerGate, avec assez peu d'attention portée à sa gravité :
http://i.imgur.com/OWdiGrG.png
http://imgur.com/xCFCAj8
http://imgur.com/ruQ9jIk
On rappelle quand même que des femmes & leurs proches sont menacées de viol, de mort et de toutes sortes d'atrocité, incitées aux suicides et chassées de chez elles par le harcèlement massif & ignoble de GamerGaters. C'est ma position formelle que la misogynie, l'anti-féminisme virulent et le harcèlement sont au coeur même du mouvement. Ce sont également les conclusions de la quasi-totalité des journalistes anglophones, jeux vidéo ou généralistes, qui se sont penchés sur le GamerGate. Il est fallacieux de renvoyer dos à dos victimes et agresseurs comme deux « camps » opposés pour se positionner comme « neutre » et « objectif » rejetant également les « extrêmes » ; tout comme il est illusoire de considérer que la raison réside forcément dans cette posture faussement « modérée ».

- Quelques poncifs fallacieux & quelque peu démagogiques sur le féminisme universitaire, qui en prime servent les fantasmes des GamerGaters:
http://i.imgur.com/QVU0gIG.png "La critique féministe du JV est une mode lié à un simple effet grégaire" -> en réalité, elle émane plus de femmes internes au milieu (développeuses, indés notamment) que d'universitaires, et surtout elle reste très minoritaire > https://storify.com/MorganRamsay/how-often-do-video-game-journalists-write-about-fe
http://i.imgur.com/sztqrUi.png "Les jeux vidéo rendent misogynes" = personne, jamais. C'est ce qu'on appelle un homme de paille - une mauvaise représentation d'un argument pour le balayer facilement. Les universitaires féministes se contentent de rappeler que les jeux vidéo existent dans un contexte socioculturel, ici en l'occurrence le patriarcat, qui les pétrit et auxquels ils contribuent - au même titre que n'importe quelle oeuvre culturelle. Dans ce contexte, il n'est pas absurde de mettre en parallèle la prévalence de représentations violemment misogynes dans les JV et la prévalence de ces mêmes violences dans la réalité - tout comme il n'est pas absurde de s'interroger sur ce que la prolifération de jeux très violents dit sur notre société. De plus, la citation est réductrice et utilisée à mauvais escient; elle provient de cet excellent article http://www.merlanfrit.net/Les-gamers-contre-la-societe , où elle vient en réalité conclure une tentative d'expliquer pourquoi des gamers masculins peuvent avoir du mal à entendre l'argumentaire féministe - ce n'est pas une déclaration péremptoire "les représentations violentes dans les jeux vidéo fabriquent des tueurs de femmes à la chaîne" !

- Surtout, surtout, le dossier comprend deux blagues racistes.
http://i.imgur.com/ncPIk8a.png
Des jeux répugnants, on en a plus que notre part en Occident (simulateurs de torture, le petit dernier-né Hatred...), et ils sont critiqués au Japon comme ici; mais c'est tellement rigolo de perpétuer le cliché que ces japonais, quand même, quel peuple de tordus.
http://i.imgur.com/LNTDknn.png
Pour info, il y a une plus grande proportion de femmes au Parlement à Kaboul qu'à Paris...mais c'est tellement, tellement plus confortable de perpétuer le bon vieux narratif simpliste « quels barbares misogynes là-bas quand même, heureusement c'est tellement mieux chez nous ». À réfléchir vraiment aux situations des femmes dans le monde on frôlerait la subversion.
Les autres points cités précédemment pouvaient être débattus autour du plateau, en revanche ces deux derniers « traits d'esprits » sont rédhibitoires ; je ne souhaitais donc pas cautionner ce dossier en participant à une émission en faisant la promotion.

Pour ces raisons et d'autres plus personnelles, à savoir grande lassitude d'intervenir sur ces sujets, de gérer le harcèlement qui s'ensuit systématiquement et manque de temps lié au travail, j'étais extrêmement réticente à me rendre sur ce plateau. Seulement, j'étais également agacée à l'idée de laisser le champ libre à un énième débat entre mecs sur la misogynie qui risquait fort d'y être insuffisamment ou mal évoquée, avec notamment les défauts soulevés ci-dessus. Il fallait le point de vue d'une femme du milieu jeu vidéo, féministe, ayant suivi de près l'affaire très complexe du GamerGate...Après avoir longuement discuté avec d'autres intervenantes potentielles et avec le journaliste organisant l'émission, j'ai donc fini par lâcher « bon, s'il le faut, je viendrai ».

Et puis Lundi après-midi, la veille du tournage donc, ASI m'a rappelée pour m'annoncer qu'il y aurait finalement un GamerGater sur le plateau – ce beau morceau d'humanité, membre actif & revendiqué du mouvement qui a fait tant de mal :
https://twitter.com/TheFrenchCritic/status/506846332422991874
https://twitter.com/TheFrenchCritic/status/523399468524515328
https://twitter.com/TheFrenchCritic/status/506847895392649216
https://twitter.com/TheFrenchCritic/status/506841831586672641
etc etc …que l'on voit notamment discuter militantisme avec Ben Spurr alias @Bendilin, une figure de proue de GamerGate et créateur du jeu « Beat Up Anita Sarkeesian » permettant de tabasser virtuellement la critique féministe.
https://twitter.com/TheFrenchCritic/status/327167676457828353
https://twitter.com/TheFrenchCritic/status/349099912463536128
https://twitter.com/TheFrenchCritic/status/523160972090167298
http://www.gameranx.com/features/id/7810/article/ben-spurr-makes-game-advocating-physical-violence-against-anita-sarkeesian/
Cerise sur le gâteau. Comme je l'ai...vivement exposé au journaliste, parler d'un mouvement haineux, misogyne & conspirationniste en invitant un membre dudit mouvement me semble à peu près aussi pertinent qu'inviter un membre du KKK pour parler de racisme. (Utiliser cette métaphore plutôt que celle du néonazi sur le plateau m'aurait peut-être évité de voir le fond de l'argument aussitôt écarté d'un rigolard « Point Godwin ! » >> http://www.franceculture.fr/emission-ce-qui-nous-arrive-sur-la-toile-pour-en-finir-avec-le-point-godwin-2014-01-02 ) C'est surtout dangereux, car ça offre une plateforme de choix aux trolls, haineux, conspirationnistes et autres Zemmour pour servir leur soupe de mensonges démagogiques. Cela demande infiniment moins de temps et d'énergie de proférer des insanités que de les déconstruire à coups d'argumentaire et de faits ; ils en profitent et mentent, mentent, jettent des litres de boue sachant pertinemment qu'un peu restera collée. Cependant, il est vrai que les exclure peut nourrir leur narratif de persécution et de « politiquement incorrect » ; je n'ai pas de solution.

L'invitation de Vidal venant s'ajouter au reste, j'avais plus que jamais envie d'envoyer promener cette émission ; en même temps, il devenait d'autant plus crucial de contrebalancer le discours qui allait y être tenu, d'autant qu'en annulant la veille c'était la chaise vide assurée et le champ libre au persiflage. Après avoir gambergé toute la soirée et consulté des gens de bon conseil, lesquels me recommandaient unanimement de ne pas me fourrer dans ce guêpier, j'ai finalement envoyé un mail d'annulation pendant la nuit. Et puis j'ai été réveillée aux aurores par un coup de fil du journaliste ASI, et après une longue discussion, j'ai de nouveau cédé (aussi, il faut bien l'avouer, parce qu'il me peinait de le mettre dans l'embarras 3 heures avant l'émission). Et j'y suis donc allée.

Je serais toujours bien incapable de dire si c'était la moins mauvaise décision. Au final, j'ai bien peur que cette émission n'apporte pas grand chose: au lieu de tenter une analyse du phénomène GamerGate, elle a tourné au pugilat sur les faits et leur véracité – ce qui était prévisible à partir du moment où il y avait un Gater sur le plateau. Il a fallu aller se battre sur des détails très pointus d'une affaire extrêmement alambiquée sans qu'un D. Schneidermann un peu dépassé ne puisse recentrer ou démêler le vrai du faux. Je crains que quelqu'un qui regarde l'émission pour s'informer sur GamerGate ne puisse pas s'y retrouver, tandis que ceux qui ont suivi l'affaire de près auront déjà une opinion bien arrêtée. Moi-même, je me suis mal débrouillée : très remontée, très énervée, ce qui bien que compréhensible au vu des circonstances a sans doute contribué à me coincer dans le rôle qu'on voulait que je joue – celui de la «féministe extrême» face au GamerGater engagé, faisant ressortir le traitement « modéré » de Canard PC comme le plus « raisonnable ». J'ai cherché à tenir trop de fronts à la fois :
- Faire barrage au flot de désinformation servi par Franck Vidal
- Contester la vision de Canard PC sur l'affaire
- Interroger l'organisation de l'émission, notamment le bien-fondé d'inviter un GamerGater... et une seule femme.
Trop de propos sur lesquels il fallait réagir, impossible de tout aborder de façon satisfaisante ; résultat j'interromps souvent, ce qui combiné à mes défauts d'élocution habituels n'a pas dû aider à asseoir mon message.

Finalement, la discussion la plus constructive a certainement eu lieu une fois les caméras éteintes, lorsque Ambroise Garel de Canard PC et moi-même sommes retournés sur le plateau pour discuter au calme des problèmes de leur dossier évoqués plus haut. Inutile de dire que nous ne sommes pas tombés d'accord sur beaucoup de points, mais ils ont au moins pu être évoqués franchement dans un esprit d'écoute et d'apaisement ; nous avons également pu revenir sur des altercations antérieures et j'ai le sentiment (peut-être optimiste) que quelques messages ont pu passer.

Merci d'avoir lu jusqu'ici, j'espère que ceci répond à certaines questions :-)

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