L'article complet pour ceux que ça intéresse :

Anna, 18 ans, sommée par la police d’espionner la Manif pour tous

Cette brillante étudiante russe, née à Saint-Pétersbourg, a bien du mal à obtenir sa naturalisation. D’après les autorités françaises, elle n’aurait pas le profil idéal : militante de la Manif pour tous, elle a participé activement aux défilés. Tellement assidue que les policiers lui ont demandé de surveiller le mouvement en échange de leur mansuétude.

C’est une brillante jeune fille aux manières douces et au regard clair. En tête de sa classe en hypokhâgne, passionnée d’opéra, elle « vise l’École normale supérieure ». Anna, née à Saint-Pétersbourg il y a bientôt 19 ans, aimerait bien pouvoir se concentrer sur ses examens. Mais alors que ses parents, immigrés en France et installés dans les Yvelines depuis 2004, ont obtenu leurs papiers assez facilement, l’étudiante attend toujours sa naturalisation française. Et si l’on en croit les policiers qui lui ont fait subir, en septembre, un interrogatoire édifiant, elle n’aurait pas tout à fait le profil idéal.
En mars 2013, devenue majeure et bachelière mention très bien, Anna réussit haut la main ses « journées d’intégration » : « on nous a demandé de quelle couleur était le drapeau français, et si la Marianne était un homme ou une femme… », soupire-t-elle. Elle obtient le renouvellement de son titre de séjour, et demande la naturalisation. En juin, dans une longue lettre de motivation, elle indique qu’elle « (s’)intéresse à la vie politique de (son) pays » et qu’elle a déjà participé à « un meeting » et à « des manifestations ». « Le meeting, c’était celui de Sarkozy : je l’ai vu tout près !, raconte-t-elle au Figaro. Les manifs, c’était celles de la Manif pour tous, et lors des deux dernières, j’étais même bénévole. Mais bien sûr, je ne l’ai pas précisé dans mon texte ! »
La Sous-direction de l’information générale (SDIG, ex-RG) des Yvelines aura fait le rapprochement toute seule… Fin septembre, Anna est convoquée au commissariat de Viroflay. « Vous être de droite, je présume ! », attaque le policier dès son entrée dans le bureau. « Ils m’ont même demandé si j’allais à la messe !, raconte la jeune orthodoxe. Après avoir juré de vérifier jusqu’aux casiers judiciaires de mon petit frère et de ma petite sœur, qui ont 3 ans et 18 mois… » Au mur, derrière le major et son commandant, trois affiches de la Manif pour tous. « Est-ce que vous êtes allée à la Manif pour tous ? Et vos amis de prépa ? Et ceux de votre ancien lycée versaillais ? », mitraillent les policiers. « Mais ils ne vont plus manifester maintenant… », balbutie la jeune fille. Le dernier grand rassemblement, en effet, date du 26 mai. « Qui ?, réclament les policiers. On veut des noms ! »
« Est-ce que vous trouvez que quand on appartient à un pays, il faut aider la police ?, poursuivent-ils. Est-ce que si vous êtes française et que vous voyez quelqu’un qui s’apprête à faire quelque chose de mal, vous irez le dénoncer à la police ? ». « Oui, oui », répète timidement Anna. « Est-ce que vous considérez normal de continuer à manifester alors que la loi sur le mariage pour tous a été votée ? », « Non…, murmure l’étudiante, qui « ne voulait pas trop provoquer ». Mais je ne vois pas où vous voulez en venir… ». Les policiers enfoncent le clou. « Je vois que vous n’avez aucune motivation pour acquérir la nationalité française, assène le commandant. Au vu de tout cela, je vais mettre un avis défavorable sur votre dossier. Je vous préviens, même avec un bon avocat, ça prendra du temps pour que vous l’ayez, votre naturalisation… »
Devant le visage blême de la jeune fille, les policiers temporisent : « À moins que, pour montrer votre bonne foi, vous ne donniez des noms précis de gens qui participent à la Manif pour tous…, lâchent-ils. Et que vous alliez, jeudi 10 octobre prochain, aux Veilleurs, à Versailles… Vous nous reconnaîtrez, on vous fera signe dans la foule. » À Anna qui bafouille « mais ça finit tard ! Mes parents ne veulent pas ! », les policiers répliquent : « Depuis quand est-ce que les parents contrôlent ce que font leurs enfants ? » Le rendez-vous est donné à 19 heures place du Marché. « Ils m’ont dit qu’il y aurait d’autres personnes comme moi qui surveilleraient la veillée et rendraient compte, se souvient l’étudiante. Je devais les appeler à la fin pour faire un compte-rendu : donner des noms et professions, dire qui fait passer les messages entre les Veilleurs, et comment. »
Intimidations
« Surtout, n’en parlez à personne, même pas à vos parents !, avertissent les policiers. En France, on n’a pas les mêmes moyens qu’au KGB, mais on peut quand même vous surveiller ! On a votre numéro de portable. Grâce au pass Navigo, on sait exactement où vous allez, et il y a les satellites… » Anna en parlera bien sûr le soir même à ses parents. « Je l’ai récupérée le lendemain en larmes dans mon bureau, témoigne l’une des responsables de son établissement scolaire, qui évoque « une élève méritante et très appréciée. Je l’ai sentie toute démolie, très éprouvée par ce réquisitoire. » Surtout que les intimidations se poursuivent : « J’ai reçu plusieurs appels et textos du policier me rappelant le rendez-vous », rapporte la jeune fille. Elle décide finalement de ne pas y aller. « Vous venez au rendez-vous », lui ordonne un SMS daté du 10 octobre à 20 h 15. Le lendemain, Anna, qui a préféré fermer son portable, découvrira cinq appels manqués et un message vocal : « des hurlements de sirènes de police… »
Désemparée, l’étudiante finit par se confier à François-Xavier Bellamy, jeune maire adjoint de Versailles, et familier des Veilleurs. L’élu sollicite la préfecture des Yvelines, qui promet de « faire arrêter la procédure de renseignement ». « Est-ce normal que l’on fasse pression sur une jeune fille en attente de naturalisation pour faire du renseignement sur des manifestations pacifiques ?, s’indigne François-Xavier Bellamy. Il s’agit d’un dévoiement absolu de l’appareil d’État et d’une violation grave des droits fondamentaux ! Si Anna n’avait pas eu le courage de parler, ça aurait pu être extrêmement destructeur pour elle. »Depuis, plus aucun message des policiers.
Contacté par LeFigaro sur le portable avec lequel il avait harcelé Anna, le major indique se souvenir de la jeune Russe. Il se retranche d’abord derrière « l’obligation de réserve ». « Cette personne vous a fait part de notre conversation, se défend-il ensuite, mais elle ne vous a peut-être pas dit comment elle s’est permis de nous parler ! » Anna explique simplement avoir demandé à déplacer une première convocation qui lui faisait manquer une demi-journée de cours importants, « ce que je ne pouvais pas me permettre en prépa ». Interrogé sur le curieux interrogatoire qu’avec son collègue, il a fait subir à la jeune fille, le policier parle de lui-même d’espionnage : « On a de très bons contacts avec les personnes de la Manif pour tous du département, lâche-t-il. On n’a pas besoin de les espionner ni quoi que ce soit… » De « très bons contacts », peut-être, mais pas forcément toutes les informations… « Les policiers, faut qu’ils fassent leur travail, poursuit le major. J’ai une hiérarchie. Je travaille sur instructions et sur ordres. Faut appeler le ministère ! »
Le cabinet de Manuel Valls refuse de « s’exprimer sur une histoire particulière qui ne concerne qu’une personne ». En revanche, « on n’accorde pas la nationalité à n’importe qui, précise-t-on au ministère de l’Intérieur. Il y a toujours un entretien, cela fait partie de la procédure : il est normal que l’on vérifie la loyauté des personnes à la République française ». En ce qui concerne le cas particulier d’Anna, « il a été constaté qu’elle était en contact avec des groupes manifestant sur la voie publique », souligne Jean-Marie Salanova, directeur départemental de la sécurité publique des Yvelines. « Il est tout à fait légitime de se renseigner sur ces actions, poursuit-il. Tout à fait normal que les services de renseignements recherchent des interlocuteurs pour leur donner des renseignements. Vous, journaliste, vous ne posez pas des questions qu’à une seule personne ? Les services de renseignements, eux aussi, recherchent des renseignements de façon large. »
Une source proche du dossier affirme qu’à la préfecture des Yvelines, en interne, on admet « une grosse erreur » due à « une grosse pression de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) pour avoir des renseignements sur la Manif pour tous ». Pourquoi la Manif pour tous ? Ferait-elle partie de ces « forces sombres » qui, d’après Manuel Valls, menaceraient la République ? « Il n’y a pas de police politique en France ! », s’offusque-t-on au ministère de l’Intérieur. « C’est une manifestation sur la voie publique, réplique Jean-Marie Salanova. On s’y intéresse comme à n’importe quelle manifestation sur la voie publique. » Un responsable national de la SDIG renchérit : « dans les Yvelines, il y a une forte mobilisation contre le mariage pour tous. C’est un vrai sujet de préoccupation. On est dans notre rôle en essayant de prévoir et de comprendre l’état d’esprit des manifestants. »
Coup de théâtre, mardi, en fin d’après-midi. Après tout une journée passée à essayer de joindre, en vain, l’ensemble de la hiérarchie policière concernée par cette affaire, LeFigaro reçoit un coup de fil empressé de la préfecture des Yvelines. « Le dossier de naturalisation de cette jeune fille a recueilli des avis favorables à tous les stades de la procédure !, annonce-t-on. Tous les entretiens ont été passés avec succès. Le dossier sera transmis au ministère de l’Intérieur dès la semaine prochaine. » Anna devrait donc avoir ses papiers très bientôt, en tout cas « avant la fin du premier semestre ».S’ils le disent...

Reply · Report Post