Original French of L'Equipe article for those not needing Google Translate... RAFAEL NADAL a rejoué hier. Il a même gagné. Tout en maniant la prudence, il ne s’interdit surtout pas de viser un huitième Roland-Garros dès cette année. Et pense que l’ère Djokovic-Murray sera aussi la sienne.

Il y a donc eu un après Lukas Rosol. Mais il a fallu attendre pratiquement huit mois avant que Rafael Nafal purge ce cauchemar de défaite au deuxième tour de Wimbledon, le 28 juin 2012. Porteur du syndrome de Hoffa, son genou gauche, infiltré depuis Roland-Garros, le fait encore souffrir aujourd’hui. Mais, dixit les docteurs, la guérison est au bout du couloir, toute proche. L’idée de cet entretien au Chili avait été discutée et calée avec son attaché de presse pendant l’Open d’Australie. À notre arrivée ici, il y a eu comme un coup de frein. On nous l’a décrit stressé, inquiet, désireux de se faire tout petit, pas très chaud pour une interview avant son premier match. Et puis lundi soir, dring, dring, le téléphone sonne. Rendez-vous à son hôtel. Là-bas, il devait d’abord honorer de sa présence un drôle de happening imaginé par un sponsor du tournoi. Une salle, de la musique de « djeun’s » et un casting d’invités très télé-réalité. Toute en minijupe et chemise moulante, la jet-set de Viña del Mar a eu droit à son moment avec Nadal. Elle lui a posé des questions qu’il n’entendait pas à cause de la musique, les appareils photo étaient en chaleur, et puis stop. Fini. Nous sommes alors montés dans sa suite, avec son attaché de presse Benito Perez-Barbadillo et son agent Carlos Costa. Comme d’habitude, Nadal n’a jamais regardé sa montre. À la fin de la dernière réponse, après cinquante minutes de conversation, on a coupé l’enregistreur. Mais Nadal a continué à causer. Il est descendu dans le lobby rejoindre l’oncle Toni et son kiné, Rafael Maymo. Et la discussion a repris. Comme il restait une ou deux lolitas dans les parages, il lui a encore fallu poser pour des photos. Ce qu’il fit, tranquillement.
VIÑA DEL MAR – (CHL)

de notre envoyé spécial


« QUEL EST LE SENTIMENT qui prédomine aujourd’hui ? Soulagement d’en avoir fini avec ces longs mois d’arrêt, joie de rejouer, stress de mal faire, peur d’avoir mal…

– Peur ? Non. Stress, oui, c’est normal. Soulagement et joie, c’est certain. En fait, le thème du moment, c’est la patience. Je dois y aller pas à pas et accepter de ne pas être à mon niveau maximal tout de suite. Je n’avais pas joué depuis plus de sept mois. Si je ne suis pas humble, ça ne va pas marcher. Je n’ai pas peur parce que je sais que mon genou est en état. Depuis trois semaines, toutes les radios, toutes les échographies que j’ai vues sont parfaites. La vérité, c’est qu’aujourd’hui mon genou gauche est magnifique par rapport à l’autre (rires). Je sais qu’en rejouant maintenant je ne cours aucun risque que le tendon pète. Ça, c’est “importantissime”. Les docteurs me l’ont promis. Donc, ça va, pas d’angoisse. Même si le tendon continue de me faire mal…

– Cette douleur est-elle normale ? Les docteurs vous avaient-ils prévenu ?

– Oui, ils m’ont dit qu’elle allait disparaître petit à petit. Logiquement, fin février, elle sera passée. Je pourrai alors retrouver ma pleine mobilité sur le terrain. Il faut juste laisser le temps à mon tendon rotulien de se réhabituer aux efforts violents.

– Comment décririez-vous cette douleur ?

– C’est une douleur installée. Je peux la ressentir le matin en me levant, le midi en mangeant ou en frappant un revers. Mes deux premiers jours au Chili ont été difficiles : j’avais très mal et je n’ai pas fait un seul bon entraînement. Dimanche et lundi, c’était très bien. Je me suis régalé. Il faut accepter ça. Avant, j’avais mal neuf jours sur dix, puis huit sur dix et ça baisse, ça baisse… Mais bon, douleur ou pas, le sentiment qui écrase tous les autres, c’est la joie d’être là, de m’entraîner avec des pros, d’avoir un match à jouer, de sentir la compétition…

– Vous n’aviez jamais été arrêté si longtemps. Cette reprise doit être forcément plus stressante qu’en 2006 quand une blessure au pied vous avait stoppé trois mois…

– Franchement ? Non. Rappelez-vous, ma blessure au pied était grave. Les médecins avaient évoqué l’hypothèse d’une fin de carrière. Pour mon genou, il n’a jamais été question de ça. Ce qui est différent, c’est qu’en 2006 je commençais à peine à éclore. Aujourd’hui, je n’ai que vingt-six ans. J’ai encore du temps et je veux encore jouer des années. Le point commun de ces deux blessures, c’est que personne n’a trouvé la formule pour me débarrasser de la douleur.

– Pendant ces presque huit mois au garage, quel a été le moment le plus dur ?

– Le pire, c’est quand j’ai compris que je ne jouerai pas les Jeux Olympiques. Au début, j’ai cru guérir vite. Ce qui a été difficile, c’est que mon genou a lâché au meilleur moment de ma carrière.

– Le meilleur ? Vous gagniez plus en 2008, 2009 ou 2010…

– Oui mais en 2012, je jouais vraiment mieux. La finale de l’Open d’Australie contre Djokovic, même perdue, c’était grand. Je venais de gagner Monte-Carlo, Barcelone, Rome, Roland-Garros… Je m’éclatais sur le court.

– Si vous aviez perdu d’entrée contre Delbonis, est-ce que cela aurait été grave ?

– Non.

– Et l’exigence alors ? Et l’ambition ?

– Je ne les ai pas perdues. Ça, non ! Mais ici le résultat sera la dernière des choses importantes. Pareil pour le classement. Si tout va bien, j’aurai évidemment d’autres objectifs dans deux mois. Ce que je vise, c’est d’être à cent pour cent pour attaquer Monte-Carlo et la tournée sur terre en Europe. Mais ici, l’essentiel, c’est comment je me sens et comment réagit mon genou. Perdre ici, pff, c’est pas un problème. Sept mois à l’arrêt, sept mois à ne jamais pouvoir s’entraîner à fond : je dois perdre ici. Ce serait logique. Le drame serait que mon genou me fasse trop mal.

– Si les examens de votre genou ne sont parfaits que depuis quatre semaines, ça veut dire que, même sans l’épisode du virus stomacal de décembre, vous n’auriez pas été prêt pour l’Open d’Australie…

– C’est sûr que non. La question, c’était : est-ce que je peux gagner à Melbourne ? Et la réponse était non. Moi, je ne me vois pas aller en Grand Chelem si cette réponse est non. Ici, à Viña, je peux l’accepter. Si je perds tôt, ça ne m’affectera jamais comme si j’avais perdu tôt à Melbourne.

– Beaucoup de gens parlent de votre retour comme d’une seconde carrière qui commence. Est-ce juste ?

– La carrière, je l’ai déjà bien remplie. Je n’ai pas envie d’en attaquer une autre (rire). Je vais continuer celle-là si vous n’y voyez pas d’inconvénient (rire). Je suis le même. J’ai toujours la passion du jeu. Je mets la même exigence dans chaque coup que je frappe. Je suis toujours aussi motivé pour aller m’entraîner. Donc, si mon genou me permet de m’engager trois heures par jour à fond, s’il me permet de jouer un tournoi à fond, puis deux tournois de suite à fond, si je peux courir sans penser à mon genou ou à la douleur, pourquoi ne pourrais-je pas faire ce que j’ai fait avant ? Le fait d’avoir été stoppé à un moment où je jouais super bien m’aide aujourd’hui. Mes dernières sensations étaient bonnes. Et le souvenir est tout frais.

– Avec cette histoire de genou, ne va-t-on pas retrouver le Nadal du début ? Très fort sur terre, capable de gagner Wimbledon mais en difficulté sur dur…

– Tout dépend du genou. S’il tient, je n’ai pas l’intention de changer mon calendrier et de jouer plus sur terre qu’avant. Pourquoi ? Parce que pour redevenir premier, deuxième ou troisième mondial, il faut jouer et gagner sur dur. Et moi, je veux redevenir comme avant. Sincèrement, je crois que c’est possible.

– Si on vous dit que vous allez gagner l’US Open l’an prochain, vous pensez que c’est possible ?

– Je dis que je n’en sais rien. Et je dis que je n’en savais rien en 2010 avant de le gagner. Mais si mon genou va bien, donnez-moi une raison pour m’empêcher d’y croire ? Juste une. J’ai passé huit ans de suite en étant premier ou deuxième mondial, j’ose espérer qu’en sept mois je n’ai pas oublié comment on joue au tennis. Je ne veux surtout pas paraître arrogant, je veux juste dire que je pense être capable de revenir à ce niveau.

– Et si on vous dit que vous allez gagner Roland-Garros dans quatre mois, ça vous paraît possible ?

– Je dis que je n’en sais rien (rire). Personne ne sait. Et pourquoi pas ? Si je peux faire Monte-Carlo, Barcelone, Rome et Madrid comme je veux le faire, alors y a une chance. Et je vais la tenter.

– En Australie, Mats Wilander disait que vous alliez manquer de temps. Que, même si vous vous appelez Nadal, cette année, vous seriez un outsider à Paris…

– Bien. Très bien. On va voir ça. C’est vrai que je ne serai pas le favori à Paris mais je n’ai pas besoin de l’être pour gagner.

– D’accord, mais avez-vous besoin d’ici là de revenir dans le top 4 pour éviter à Paris un quart de finale contre Djokovic, Federer ou Murray ?

– D’abord, repasser quatrième, vu tous les points que j’ai à défendre ces prochains mois, ce sera difficile d’ici à fin mai. Après, est-ce que j’en ai besoin pour gagner Roland-Garros ? Non. Je peux avoir retrouvé le niveau du top 4 sans y être. Et puis c’est quoi le plus difficile ? Revenir dans le top 4 d’ici à Roland-Garros ou gagner Roland-Garros ? À mon avis, c’est le premier défi le plus dur.

– Après les dernières finales à New York et à Melbourne, certains, dont Marian Vajda, le coach de Djokovic, ont dit que c’était la fin de l’ère Federer-Nadal et le début de l’époque Djokovic-Murray. Vous avez un ego. Comment le prend-il ?

– Mon ego est tranquille (rire). Ça ne me dérange pas d’entendre ça. Ce n’est pas injuste. C’est quand même la vérité du moment, non ? On a deux super joueurs qui étaient en finale des deux derniers tournois du Grand Chelem. Il y aura une fin à la rivalité Federer-Nadal mais je ne suis pas sûr qu’elle ait eu lieu. Je n’ai qu’un an de plus que Djokovic et Murray, ce n’est peut-être pas déjà le moment de m’enterrer. Il y a huit mois, j’étais en pole-position pour redevenir numéro 1 mondial. N’oublions pas trop vite. Maintenant, je vais essayer de m’incruster dans l’époque Djokovic-Murray (sourire).

– Avez-vous regardé l’Open d’Australie ?

– Non, je n’ai pas Eurosport.

– Pardon ?

– Ils ont changé les bouquets satellite en janvier et voilà. Mais bon, j’ai quand même vu des images. Que dire ? Primo, Djokovic a encore prouvé qu’il était un grand compétiteur. Deuzio, qu’il était un super joueur de tennis, techniquement parlant. Et tertio, qu’il était un joueur qui ne se blessait jamais. C’est sa chance. Il peut faire ce qu’il veut, ça ne casse pas. Donnez-moi deux ans sans blessure et…

– Avez-vous subi des contrôles antidopage pendant votre arrêt ?

– Neuf. Trois sanguins et six urinaires. Pour quelqu’un qui est coincé à la maison et qui ne peut plus jouer, c’est beaucoup. Les deux dernières semaines, j’ai été contrôlé quatre fois, dont deux jours de suite.

– En fin de saison dernière, Murray et Federer regrettaient la diminution des contrôles ces derniers mois, notamment ceux hors compétition. Êtes-vous sur la même longueur d’onde ?

– Si on décide demain que je vais être contrôlé chaque semaine, aucun problème. Génial, la vie est belle, parfait. Moi, je veux être sûr que celui qui joue en face de moi est aussi propre que moi. Dire qu’il faudrait plus de contrôles, c’est facile. Tu dis ça, tout le monde applaudit, tout le monde signe.

– Ne pensez-vous pas qu’il faudrait que les résultats des contrôles soient rendus publics ?

– Pour moi, il n’y aurait pas mieux. C’est ça le truc ! Si tous les contrôles sont rendus publics, c’en est fini de toute cette suspicion qui tue le sport. Je ne demande que ça.

– Que pensez-vous de la possible mise en place du passeport biologique dans le tennis…

– Je ne sais pas ce que c’est (rire). Passeport biologique, procès Puerto, je ne connais pas ce monde. Ce qui se passe en ce moment en Espagne avec la justice, je ne le comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi ce docteur Fuentes ne donne pas les noms. Et je ne comprends pas que le juge ne lui ait même pas demandé de le faire. Ça m’a déçu à un point… Que ce docteur dise qui et que ceux qui ont trempé payent. Je ne comprends pas pourquoi on ne va jamais au bout des choses. Il faut tout nettoyer. Je crois savoir que ce docteur a travaillé avec des sportifs étrangers mais, comme il est espagnol, c’est le sport espagnol qui subit tout le préjudice. Moi, en tant que sportif, tout ça me nuit. À cause de gens comme Armstrong, nous avons tous une image douteuse.

– Savez-vous qu’il y en a qui pensent que vos sept mois d’absence cachaient une sanction pour dopage ?

– Oui, et ce genre de rumeur existe parce que les contrôles ne sont pas publics. L’ITF doit jouer la transparence. L’AMA pareil. Sinon, ça continuera et je devrai encore écouter Christophe Rochus (*) faire ses commentaires stupides sans aucune preuve. Je trouve incroyable qu’on puisse écrire ou publier de telles accusations sans preuve. Donnez-moi les preuves et ça ira bien !

– L’ITF dit que les contrôles sanguins sont chers et que…

– (Il coupe.) Vous savez ce qui coûte vraiment cher ? C’est la mauvaise image qu’a le sport. Ça c’est cher, oui.

– Viña del Mar est votre premier tournoi depuis qu’il a été demandé aux arbitres d’être stricts sur l’application des vingt-cinq secondes entre chaque point. Cette réforme pourrait s’appeler la réforme “Nadal-Djokovic” puisque vous êtes tous deux particulièrement lents et particulièrement visés. Vous êtes-vous entraîné à respecter ce temps ?

– Je suis lent, je le reconnais. Mais, pour moi, appliquer en toutes circonstances les vingt-cinq secondes fera perdre en qualité de jeu. Si vous appliquez strictement les vingt-cinq secondes, mes finales de l’US Open 2011, surtout le troisième set, et de l’Open d’Australie 2012 contre Djokovic ne seront plus de ce niveau. Il n’est pas possible de jouer des points incroyables les uns après les autres si vous n’avez pas assez de temps pour souffler. Ça m’arrive d’être lent après un point normal. Que l’arbitre me sanctionne d’un warning à ce moment-là, pas de problème. Mais juste après un point de fou, non. Sinon, après un point énorme, ce sera chaque fois un service puis un coup droit soit trois mètres dehors soit sur la ligne. Et ça, c’est pas du tennis. On dit que cette réforme est faite pour la télé mais je pense que les gens qui regardent la télé préféreront toujours voir de beaux points disputés. Non ? »


FRÉDÉRIC BERNÈS


(*) Mi-janvier, le Wallon, 38e joueur mondial en 2006, désormais retraité, a émis, sur une radio belge, ses soupçons sur la véritable raison des absences de Rafael Nadal et de Robin Söderling, tous deux éloignés de longs mois du circuit, le premier pour une blessure au genou, le second pour une mononucléose. Au sujet de Nadal : « Comment peut-on être aussi fort à Roland-Garros et un mois après soi-disant ne plus pouvoir jouer ? C’est ça qui fait que ça paraît suspect, mais on n’a aucune preuve. Si ça se trouve, il est réellement blessé. »

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