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Gilles Babinet · @babgi

27th Sep 2012 from Twitlonger

Mon speech de ce matin à la conf Opendata, #ODLC @AymericPM #qqfautesmaisecritvite
Pourquoi nous battons nous pour l'opendata?

C'est une question légitime. Et nombreux sont ceux qui sont venus me la poser.

La transparence n'est en soit pas une fin. Elle peut induire des biais, créer des préjudices importants au bien communs, au citoyen.
Nombreux sont ceux qui, au cours de mes pérégrinations au sein des institutions m'ont expliqués toutes les raisons qui justifiaient qu'on ne cède pas à qu'ils appellent la "dictature de la transparence".
Nous voulons la transparence parce que nous sommes profondément confiants dans la vertu des principes de la responsabilité citoyenne propre aux démocraties.
Nous voulons la transparence parce que nous savons qu'elle n'est pas une fin en soit, mais le moyen de permettre un rapport entre le citoyen et l'état.
Nous voulons la transparence car nous souhaitons l'émergence d'une force citoyenne qui ne s'oppose plus à l'état, mais qui soit au coeur de l'état. qui permette au citoyen d'agir pour le bien commun, en développant par exemple des applications qui, à partir de données publiques, sont au service de tous.
Nous voulons la transparence car nous pensons que c'est un moyen efficace pour aider à la modernisation de notre état, en étant exigeant à son égard, en exposant plus précisément ce qui y fonctionne et ce qui y fonctionne moins.
Nous voulons la transparence parce que nous savons que dans un pays comme le nôtre, avec un niveau de formation élevé, avec des institutions développées, c'est une fantastique opportunité pour créer une nouvelle dynamique, permettant de recréer la confiance que les citoyens ont perdu dans leur Etat. Nous savons en effet que de toutes les nations développées, c'est en France que la confiance dans les institutions est la plus faible ; une étude du CEVIPOL rappelle que 83% des français se méfient de leurs institutions.
Enfin, et ça n’est pas inutile de le rappeler, nous voulons la transparence et la libération des données car celles-ci recèlent une fantastique opportunité économique, encore récemment chiffrée à 32 milliards d’Euros par l’union européenne. Lorsqu’un ouvrier peut connaître les réseaux d’eau, de télécoms ou d’énergie qu’il va rencontrer avant d’entreprendre un trou dans la chaussée, lorsqu’il une agence de voyage peut optimiser le parcours d’un groupe de touristes au sein du louvre en fonction de la location des œuvres et de la fréquentation de chaque salle, lorsqu’un employeur peut connaître le taux de formation dans sa filière dans le département dans lequel il envisage d’implanter une unité économique, ce sont autant de facteurs d’efficacité et d’opportunité économique qui peuvent être mis en œuvre.

Certes, un travail important a été entrepris. Le cadre juridique a été largement clarifié. L'impulsion politique a été donnée avec la création d'Etalab. Nombreuses sont les collectivités territoriales à avoir lancé des politiques d'opendata. Force pourtant est de reconnaître que le chemin n'a été accompli qu'à moitié, surtout lorsque l’on se compare aux pays nordiques ou à notre voisin du royaume-uni.

A plusieurs égards, les meilleures volontés ont été entravées. Lorsqu'il s'est agit de sujets importants, lorsque des données essentielles ont été en jeu, les vieux réflexes, la volonté de protéger ce qu'on pourrait appeler « l'intérêt supérieur de l'Etat » a fait loi.
Ce n'est pas que l'Etat a manqué d'ambition -on l'a dit le cadre légal a été largement dépoussiéré. Mais c'est plus souvent le fait qu'il s'est trouvé démuni face à ses propres institutions ; face à des régimes d'exceptions, dont les justifications étaient -à priori- plus que légitimes.
Je voudrais vous donner quelques cas symptomatiques car je crois qu'ils doivent être évoqués :

1° Si je prends par exemple le logement social, un domaine qui concerne des millions de gens dans ce pays ; doit-on trouver normal que personne ne puisse savoir dans quelles conditions et quand il obtiendra son logement? IL suffit pour cela que nous ayons une connaissance du nombre de gens qui nous précédent, du nombre supposé de ceux qui peuvent passer avant nous car étant en situation de précarité supérieure. De même pourquoi ne serait t'il pas possible de connaitre le loyer payé par l'habitant de tel appartement? Où même de savoir à quelle catégorie de niveau de salaire il appartient? Quel logement est occupé et lequel ne l'est pas?
2° Comparatif des frais de santé : La CNAM a récemment interdit l’utilisation de ses données pour permettre à des tiers (en l’occurrence fourmi-santé) de créer des comparatifs des prix des prestations de santé.
3° La qualité des actes médicaux ; chaque hopital doit disposer de relevés précis de la qualité des soins qu’il administre. Ceux-ci font l’objet de stratistiques poussées. Or ces informations ne sont pas disponibles aux usagers.
4° Les plateformes d’évaluations des professeurs ont été interdites, alors que celles-ci sont courantes dans nombreux autres pays et qu’il s’agit même d’un standard dans le milieu universitaire.
5° les données concernant l’école primaire, où le taux d’échec est pourtant dramatiquement élevé, ne sont pas disponibles. Le CIEP (Centre international d’études pédagogiques) et le CEREQ (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), 2 entités du ministère de l’Éducation nationale, questionnées dans le cadre de la mise en place de l’opendata, ont répondu : « Sans objet (sous réserve de la clarification du périmètre des informations publiques concernées) »!
5° l'emploi : à ce jour, Pole Emploi interdit que des sociétés tierces puissent réutiliser les offres d’emploi dont elle dispose... De l'art de défendre son prè-carré au détriment de l'efficacité du marché de l'emploi.
6° la RATP. On peut se poser la question de savoir si son rôle consiste à transporter au mieux les franciliens, ou à chercher à faire des revenus marginaux avec des politiques erronées d'opendata? La RATP s’est à ce jour refusée, contrairement à la très grande majorité des opérateurs de métro des grandes villes occidentales, à donner accès au trafic en temps réel de ses moyens de transports.
7° le dernier et septième exemple est particulièrement d’actualité. Il s’agit de la transparence des frais parlementaires. J’avais fortement appuyé la pétition qui a été lancée par Avaaz pour que l’on connaissance précisément l’affectation des 7000 euros dont ils disposent chaque mois. Pour l’instant, le président de l’AN a toujours refusé de nous recevoir. Faut il ajouter à cela que le ministre en charge des relations avec le parlement s'est ému (plaint en fait) du travail de transparence que réalise l'association regard citoyen, en rapportant en ligne le niveau d'assiduité des parlementaires?

Nous avons besoin d'une nouvelle impulsion politique. Sans doute l'Etat doit il veiller à créer un cadre plus clair encore, de sorte à ce que la résolution des enjeux que je viens de citer aille de soit.
Le role de l'Etat doit également être de s'assurer que la régulation ne soit pas un prétexte pour empêcher ce nouveau modèle de société que nous appelons de nos voeux n'apparaisse. On peut raisonnablement se poser la question de savoir si la CNIL n'a pas, en limitant la porté du DMP, en empêchant les plateformes de notation des professeurs, en démolissant la porté du projet de carte d'identité électronique, finalement largement limité le potentiel de développement de services aux citoyens.
Certes, nous devons nous méfier des abus des fichiers personnels. Mais pour autant ce n'est pas parce que ces fichiers ont été utilisés à des fins criminelles, par l'état lui-même au cours de notre histoire que nous devons à présent nous interdire toute audace et que le principe de précaution et d’exception doit systématiquement prévaloir.
Oui, les données nominatives du citoyen sont une balise infranchissable. Mais est-ce que cette limite évidente doit elle être appliquée aux agents de la fonction publique ? En d’autres termes, sommes nous certains qu’il ne doit pas pouvoir être envisagé qu’un agent donnée, un professeur des écoles, le préposé à un service social, ne puisse pas être identifié par son matricule ? C’est une limite posée qui n’existe pas dans le monde anglo-saxon et le débat mériterait d’être posé dans notre pays.

L'opportunité, je l'ai dit, est de construire un nouveau modèle de société, plus juste, plus transparent, en un mot plus moderne.

Cette évolution implique une plus grande place pour la société civile. C'est elle qui montera les startups de demain et permettra de massifier la création d’emplois qualifiés et de qualité. C'est déjà elle qui repense l'organisation le processus éducatif aux Etats-Unis. C'est elle qui réorganise le cadastre au Kenya. C'est encore elle qui va repenser le fonctionnement de certains service sociaux dans de nombreux pays en développement.
Dans une ère où l’état, contraint par la dette, va durablement voir sa capacité d’action fortement limitée, il est d’autant plus important de libérer l’initiative de la société civile et des acteurs privés. Et l’opendata est une étape importante sur cette voie.
Car ne nous méprenons pas ; l'opendata n'est pas une fin en soit : c'est un moyen, une partie du long chemin qui nous emmène vers une nouvelle forme de société, plus transparente, plus équitable, plus ouverte, en un mot, plus moderne. L’opendata dispose de nombreux potentiels. Il est déterminant dans l’accompagnement de la réforme de l’Etat, c’est un agent économique important, c’est une facteur d’émergence de la société civile. En un mot, l’opendata est une étape déterminante sur la route de la société de la connaissance que nous appelons tous de nos vœux.

Je vous remercie pour votre attention.


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